Je soutiens le KMT depuis le lycée. Mes parents ont leur carte, raison pour laquelle j’ai décidé d’adhérer quand le professeur d’éducation militaire du lycée a sélectionné de jeunes cadets pour le parti.
Mon père est employé à la poste depuis qu’il a 15 ans et, comme de nombreux Taïwanais, il respecte nos anciens présidents, Tchang Kaï-chek et Chiang Ching-kuo. Il pense que c’est grâce à eux que Taïwan a été capable de créer un miracle économique et que nous pouvons jouir de la prospérité et de la démocratie comme jamais auparavant dans l’histoire de la Chine.
Je n’ai pas gardé une forte impression des deux Chiang, et la politique de l’homme fort n’est pas ma tasse de thé. La Terreur blanche [époque où l’on emprisonnait quiconque se livrait à un commentaire critique du gouvernement] a terni l’image du parti. Je n’aurais certainement pas adhéré si j’avais été informé de ces activités quand j’étais au lycée. Mais j’ai continué à être un membre loyal du KMT parce qu’au moment où j’ai découvert son passé, il avait commencé à se transformer sous la direction du président de la République, M. Lee Teng-hui.
Le président a fait du bon travail dans le domaine des relations extérieures. Ses voyages à l’étranger rendent Taïwan plus «visible» sur la scène internationale et j’admire la façon dont il gère les relations entre les deux rives du Détroit. Beaucoup de gens critiquent sa façon de s’exprimer parce qu’elle irrite Pékin. Je pense au contraire qu’il lui faut beaucoup de cran pour oser dire ce qu’il pense vraiment du continent chinois.
Je suis un membre loyal du parti mais je ne suis pas très actif. Je ne participe jamais à ses réunions ni à ses activités et je n’apporte jamais mon concours aux campagnes électorales ni ne fais de dons aux candidats. Je me contente de voter pour eux.
A vrai dire, je parle rarement de politique avec mes amis. Nous sommes davantage concernés par l’économie. Nous autres, les trentenaires, entamons nos carrière et nos vies de famille et ce qui nous importe le plus, ce sont nos finances personnelles : quelle entreprise choisir pour avoir la meilleure rémunération, quelles valeurs acheter, quels placements faire et comment obtenir un prêt bancaire pour acquérir un appartement. Bien sûr, aucune formation politique n’a songé à offrir, par exemple, des prêts à faible taux d’intérêt ou la possibilité pour ses membres d’acheter des parts dans les entreprises qu’elle détient. Si un tel parti existait, j’y adhérerais aussitôt.
Depuis l’effondrement du marché boursier à la fin des années 80, la situation économique de Taïwan n’est plus aussi bonne : les coûts élevés de la main-d’œuvre ont incité les compagnies à transférer leurs activités à l’étranger, le commerce est confronté à une concurrence étrangère accrue, le marché boursier reste déprimé et le Nouveau Dollar taïwanais a beaucoup perdu de sa valeur en quelques mois. Le KMT doit-il être tenu responsable de la détérioration de la situation économique ? Oui, parce que c’est le parti au pouvoir. Mais le développement économique est davantage freiné encore par les écologistes. Je pense que le PDP fait pencher la balance en faveur de la protection de l’environnement au détriment du développement économique dans le but de remporter la course au pouvoir. Il est fortement opposé au monde des affaires.
Après sa défaite aux élections locales, le KMT a reconnu l’existence d’un problème. La machine rouillée du parti a besoin d’un polissage. Le factionnalisme s’aggrave et le travail d’équipe est inexistant. Comment le parti qui affiche le plus grand nombre d’adhérents a-t-il pu perdre une élection ? Le KMT a manifestement des difficultés à mobiliser ses troupes pour qu’elles votent de façon efficace, contrairement au Nouveau Parti qui a toujours une façon très simple de distribuer ses voix et de parvenir aux meilleurs résultats. Le principal défi qui se pose au KMT porte sur la façon dont il va retrouver sa cohésion. J’espère que ses dirigeants vont parvenir à une solution avant les élections législatives de la fin de l’année.
J’ai entendu beaucoup d’histoires sur le Parti nationaliste depuis que je suis petit. Mes professeurs présentaient toujours le KMT comme l’incarnation du bien et le Parti communiste chinois comme le mal absolu. On nous a appris quel tyran était Mao et quel grand homme était le président Tchang Kaï-chek. Puis, mon grand-père — qui est mort il y a deux ans et qui faisait partie en quelque sorte de l’élite de la société puisqu’il était dentiste — m’a dit que les membres du Kuomintang étaient venus à Taïwan en 1949 comme des conquérants et non comme des compatriotes. Les troupes nationalistes n’étaient pas disciplinées ; elles ont occupé les résidences privées et volé les biens des gens. Le mari de ma tante, qui approche de la soixantaine, parle aussi beaucoup de l’Incident
du 28 février [en référence aux heurts du 28 février 1947, où des milliers de Taïwanais furent tués par les troupes nationalistes]. Il nous a également plusieurs fois répété que l’ancien président Tchang Kaï-chek avait en fait une attitude très dictatoriale et qu’il ignorait souvent la Constitution.
Je n’ai vraiment entendu parler du mouvement tangwai [l’opposition, littéralement «hors du parti»] qu’immédiatement après le lycée. J’étais très ennuyé par son action. Nombre de ses manifestations provoquaient des embouteillages et se terminaient dans la violence. Je pense que beaucoup d’habitants de Taïpei se disaient la même chose que moi : «Pour qui se prennent-ils pour nous rendre ainsi la vie impossible ?».
Mais quand la loi martiale a été levée, notre société a amorcé un changement radical. Le PDP a été créé, l’interdiction sur les journaux a été levée et les chaînes d’information ont commencé à s’ouvrir et à se diversifier. Par leur action, les députés de la nouvelle génération ont placé les principaux enjeux nationaux sous les feux de l’actualité. La vérité ne pouvait plus être cachée et j’ai fini par soutenir le mouvement d’opposition.
Je ne suis pas favorable à l’indépendance de Taïwan en particulier mais je soutiens la démocratie. Je pense que le PDP a grandement contribué à la démocratisation de ce pays mais je n’y ai pas pour autant adhéré. Ma façon à moi de le soutenir, c’est de voter pour lui, tout particulièrement lors des élections nationales. Je n’essaye pas de persuader les gens de voter pour le PDP mais si quelqu’un me demande mon opinion, je tente d’analyser la situation politique. Le fait est que la plupart des gens de mon âge soutiennent ce parti. Mes amis le font en tout cas. Je n’ai pas besoin de les convaincre.
Ce qui me préoccupe ? L’insécurité. Les principaux crimes qui ont eu lieu l’an dernier étaient terrifiants. Ils ont exposé les défauts de notre système et les problèmes qui frappent nos forces de police. Les groupes religieux frauduleux impliqués dans des scandales financiers ont aussi révélé un sentiment général d’insécurité et un manque de confiance dans la société. Je ne pense pas que le parti au pouvoir ait fait ce qu’il devait pour permettre au public de se sentir fondamentalement en sécurité.
Je suis aussi préoccupé par notre économie. Si nous ne travaillons pas davantage, nous allons être dépassés par le continent chinois. Il nous a déjà battus en matière d’exportations et il nous rattrape en termes de développement national. De nombreuses entreprises étrangères ont transféré leurs usines de Taïwan sur le continent, ou bien elles ont investi ailleurs. Et si Taïwan continue à refuser aux grands groupes de construire des usines ou des installations ici, nous allons être bientôt rayés de la liste des principaux acteurs économiques internationaux. Le parti qui garantira un développement économique sain aura ma voix aux prochaines élections.
A l’heure actuelle, la politique économique du PDP ne paraît pas cohérente. Ce parti s’est consacré à la politique et a négligé les autres questions. Il n’a pas établi de bonnes relations avec les cercles industriels et les milieux d’affaires. C’est un défi auquel il devra faire face dans le futur. Le nouvel objectif du PDP n’est plus de jouer le rôle d’un parti d’opposition. Il doit arriver au pouvoir. Mais pour ce faire, il doit posséder un projet solide qui couvre tous les aspects de la vie dans la cité. L’électorat veut comprendre quelle est la politique d’un parti avant de voter. Le PDP a déjà accompli beaucoup, mais il lui reste encore un long chemin à faire.
Je soutiens le Nouveau Parti parce que je pense que c’est le seul que l’on puisse considérer comme le vrai courant majeur du KMT, capable de sauvegarder la République de Chine. Le Kuomintang ne respecte plus ses principes originels, comme à l’époque du défunt président Chiang Ching-kuo.
Mon père était un soldat qui s’est réfugié du continent chinois à Taïwan à la fin des années 40. En tant que fille de militaire, je n’ai jamais oublié que notre famille venait du continent et que nous sommes chinois. En fait, je suis absolument convaincue que tous les habitants de Taïwan, dont les Taïwanais, les Hakka et les continentaux, sont des Chinois. Je suis contre l’indépendance de Taïwan et je n’approuve pas non plus le communisme. Je pense qu’il n’y a qu’une seule Chine et qu’aussi bien Taïwan que le continent font partie de la Chine. J’ai toujours été animée par un fort sentiment nationaliste et je suis d’accord avec les idéaux du Nouveau Parti.
Dès que l’occasion s’en présente, je fais la promotion de la plate-forme et de la politique du Nouveau Parti. J’espère que, grâce à une meilleure compréhension, davantage de gens vont le soutenir. La façon la plus concrète est certainement de voter pour lui. J’aime aussi participer aux meetings politiques parce qu’ils me donnent un fort sentiment d’union avec des personnes qui partagent les mêmes idéaux que moi. De plus, les réunions du parti se déroulent toujours sans heurts et en bon ordre. Sitôt qu’elles sont terminées, tout le monde apporte son concours au nettoyage. C’est le signe qu’une bonne discipline règne au sein du parti.
Sur le plan politique, je me préoccupe avant tout des relations avec la Chine continentale. La diplomatie pragmatique dont Taïwan fait la promotion active se heurte souvent à une forte opposition de la part de Pékin et elle pourrait entraîner une crise. Cette situation m’inquiète. Je pense également que nous avons dépensé beaucoup d’argent pour consolider nos relations avec les pays étrangers et que nous ne voyons pas de résultats très concrets en ressortir. Etant donné la situation diplomatique difficile qui est la nôtre actuellement, la diplomatie pragmatique peut être une bonne stratégie. Mais je ne pense pas que le président Lee Teng-hui doive s’y engager lui-même parce que cette stratégie soulève souvent de fortes objections de la part du continent chinois. Il serait plus indiqué pour lui de maintenir un profil bas. Je m’inquiète aussi de la position indépendantiste du PDP, tout particulièrement parce que ce parti a enregistré de très bonnes performances dans les élections locales de novembre dernier. J’ai peur que sa position ne provoque de grandes inquiétudes à Pékin et ne pousse le continent à nous attaquer.
Dans un autre registre, bien que nous mettions l’accent sur notre identité de nation au riche héritage culturel, nos valeurs morales régressent progressivement. La spéculation boursière est tout particulièrement néfaste aux mœurs. Les gens sont plus matérialistes et ils sont surtout occupés à gagner le plus d’argent possible. La prolifération des sectes et la popularité de l’astrologie montrent aussi leur soif de spiritualité. Bien qu’il ait désigné ces problèmes comme étant sa cible numéro un, le Nouveau Parti aura des difficultés à mettre en œuvre son programme parce qu’il manque de personnel et de moyens d'action. N’étant pas aux affaires, il n’est pas en mesure de mener à bien sa politique et de concrétiser ses idéaux.
L’absence de consensus interne au sein du NP constitue un autre défi important. Elle donne l’impression aux électeurs que ses membres n’ont pas pris d'engagement envers des objectifs communs et qu’ils n’ont pas de culture du compromis. J’espère qu’ils vont respecter les instances dirigeantes et soutenir les décisions prises à l’issue de chaque débat démocratique. Les membres du parti ont peut-être des opinions différentes mais face à la société, ils doivent savoir faire preuve d’unité.
Je ne suis affilié à aucun parti. En fait, je transfère mon allégeance d’un parti à l’autre. Avant d’entreprendre mes activités sur le continent chinois avec des amis voici un an, j’ai travaillé dans une compagnie du bâtiment de Taïpei pendant 5 ans. Pour le business, je soutenais le KMT parce qu’avec lui, la société est en désordre et que plus une société est chaotique et plus il est facile pour les hommes d’affaires de faire de l’argent rapidement et facilement. «Pêcher en eaux troubles, dit un dicton chinois, est toujours plus facile». Je ne parle pas de légitimité, je parle d’opportunités.
Mais tous les habitants de Taïwan n’aiment pas autant l’argent que moi. Le KMT a du faire face à des échecs dans plusieurs élections parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas pêcher en eaux troubles. Ils veulent l’honnêteté politique et l’ordre social. A mon avis, ce ne sont donc ni des hommes d’affaires ni des hommes politiques. Leur mécontentement à l’égard du KMT a donné leur chance aux autres partis.
Je dois admettre que j’ai été impressionné par l’action du PDP au niveau local. Par exemple, je constate une amélioration dans la circulation à Taïpei et dans l’environnement à Ilan. Ce qui m’inquiète dans le PDP, c’est son programme sur l’indépendance et sa volonté d’établir une République de Taïwan. Me basant sur mon expérience du continent chinois, je pense que le gouvernement de Pékin prendra Taïwan par la force dès qu’elle aura déclaré son indépendance. C'est non seulement ce que les dirigeants de Pékin prévoient de faire, mais aussi ce que beaucoup de citoyens ordinaires tiennent pour la meilleure façon d'agir.
Un grand nombre de gens, et tout particulièrement les partisans du PDP, pensent que le continent chinois bluffe. Mais laissez-moi vous poser une question : que pensez-vous que le gouvernement de la République de Chine ferait si l’archipel des Penghu prenait son indépendance ? Je vous garantis qu’il enverrait des troupes là-bas pour résoudre le problème. Penghu pour Taïwan, c’est la même chose que Taïwan pour le continent. Quand une partie du territoire annonce qu’elle a décidé de devenir un autre pays, que croyez-vous que le gouvernement va faire ?
Je possède une entreprise sur le continent mais mon père, ma femme et mes sœurs vivent à Taïpei. Si une guerre se déclenche entre les deux rives du Détroit, je ne sais vraiment pas ce que je ferai : rejoindre l’armée taïwanaise pour bombarder mes investissements à Pékin ou rester à Pékin et m’inquiéter de ma famille à Taïpei ?
Je me moque vraiment d’une éventuelle réunification entre les deux rives du Détroit mais je ne veux pas voir le jour de la déclaration de l’indépendance de Taïwan. Pour cette raison, j’ai apporté mon soutien au Nouveau Parti. C’est la seule formation où je constate une véritable conviction anti-indépendantiste. Le Nouveau Parti est confronté à certains conflits internes mais sa position sur Taïwan n’a pas varié.
Bien sûr, le KMT affirme être opposé à l’indépendance de Taïwan, mais je ne crois pas un mot de ce qu’il dit. Je pense que plus personne ne croit à ce que dit le KMT. Je peux transiger sur les mensonges occasionnels d’un homme politique et même de la direction d’un parti, mais un président de la République qui ment souvent, c’est inacceptable. Je pense que si le KMT veut gagner la confiance du public, il doit cesser de mentir. C’est tout particulièrement vrai de ses dirigeants.
La plupart du temps, je vote pour le PDP mais je ne suis pas membre du parti et en tant que juge, je maintiens mon refus de participer à des activités politiques. Je ne soutiens un parti politique qu’en votant.
Je suis partisan du PDP principalement parce que je pense que le pouvoir doit être équilibré grâce à une forte opposition. Je pense que jouissant d’un large soutien dans la société, le PDP peut effectivement remplir ce rôle. Inversement, la popularité du Nouveau Parti est limitée aux continentaux et à la classe moyenne. Je sais qu’il tente d’élargir son assise, mais cela ne semble pas avoir réussi. De plus, le PDP concentre son attention sur la politique, alors que le Nouveau Parti accorde trop d’importance à l’idéologie. La majorité du pays étant en faveur du statu quo, je pense que la politique du NP est dépassée.
Quand, dans le but d'améliorer ses résultats aux élections, le PDP a mis l’accent sur son programme en faveur de l’indépendance de Taïwan voici plusieurs années, je n’ai pas voté pour lui. Il a subi un cuisant échec cette année-là, ce qui montre que beaucoup d’autres gens ont pris la même décision.
J’ai peur que le PDP, bien qu’il soit persuadé de demeurer une importante force réformatrice au sein de la société, suive la même voie que le KMT : ces deux partis veulent la démocratie mais ils ignorent la loi. Dans la société chinoise, ce sont les relations personnelles, et non la loi, qui importent. Il semble que cet héritage culturel ait la vie dure. Par exemple, je pense que [le maire de Taïpei] Chen Shui-bian se sert de sa forte popularité pour défier la loi. Il a été transformé en idole politique par le PDP. Le KMT a fait la même chose avec le président Lee Teng-hui. C’est une voie dangereuse pour le développement de la démocratie.
Bien sûr, la principale barrière à laquelle se heurte le PDP est sa position en faveur de l’indépendance de Taïwan. S’il veut remporter les élections, il doit apaiser l’inquiétude du public concernant l’éventuel établissement d’un pays indépendant. Je pense qu’aujourd’hui, rares sont ceux qui souhaitent le voir s’apesantir sur cette question. En fait, après que les extrémistes ont fait sécession pour créer le Parti de l’Indépendance de Taïwan, le PDP l’a mise en veilleuse. Il commettra une grosse erreur s’il tente de relancer l’idée une fois encore.
J’appartiens à ce que l’on appelle la seconde génération de continentaux. Bien sûr, toute ma famille a été loyale au KMT pendant longtemps. Je respecte tout particulièrement le président Chiang Ching-kuo qui a pratiqué l’épargne et est resté incorruptible toute sa vie. Au début, je ressentais la même chose pour le président Lee Teng-hui mais maintenant, je trouve insupportable de le voir jouer au golf à la télévision parce que cela donne une mauvaise image du gouvernement. Mes parents continuent de soutenir le KMT, mais mes frères et sœurs et moi-même avons fait défection.
Jusqu’à maintenant, je n’ai voté que deux fois parce que la politique ne m’intéresse pas beaucoup. La première fois, j’ai voté pour un candidat du KMT dans l’élection du chef du district de Pingtung. Mais maintenant, le voilà accusé de corruption, de sorte que je regrette profondément d’avoir voté pour lui. Je pense que le KMT recèle de nombreuses personnalités de talent. Mais au cours du processus de nomination, elles doivent s’effacer devant les factions locales mêlées à la politique de l’argent et à la mafia. Je ne voterai pas pour ces gens-là.
C’est la raison pour laquelle ma seconde voix est allée à Chen Li-an et Wang Ching-feng — le ticket indépendant des élections présidentielles de 1996 —. A vrai dire, j’ai voté pour eux à cause de Wang Ching-feng, et non de Chen Li-an, parce qu’elle a l’image d’une femme incorruptible. De plus, elle accorde une grande attention aux catégories défavorisées et aux questions de protection de l’environnement.
Je n’ai jamais voté pour le Nouveau Parti parce que l’essentiel de ses représentants sont concentrés dans le nord de Taïwan et que mon district électoral se trouve dans le sud. J’ai rarement vu des candidats du NP à Pingtung. Il semble que sa force se fonde uniquement sur son puissant sentiment anti-Lee Teng-hui, et non pas sur un projet social précis. La lutte qui a opposé récemment les leaders du NP me fait aussi hésiter à le soutenir. Cependant, j’aime bien certains poids lourds du parti, et s’ils venaient dans le sud de Taïwan, je voterais pour eux.
Le PDP m’impressionne par sa prise de conscience écologique et l’absence de corruption en son sein. Certains pensent qu’il est opposé aux affaires, mais un environnement agréable peut coexister avec une société prospère et je crois que ce parti l’a compris. Au contraire, le KMT ne se préoccupe que du développement économique de l’île, dont ses responsables et ses factions locales peuvent profiter.
En comparaison du KMT, le lien du PDP avec les factions locales est beaucoup moins fort. Je pense que c’est la raison pour laquelle les maires et les chefs de district nouvellement élus du PDP parviendront à demeurer intègres et à faire preuve de courage dans leur gestion des affaires locales. Je considère aussi que les membres plus âgés du PDP sont plus crédibles que la nouvelle génération du parti. En effet, leur action est soumise depuis longtemps à l’examen du public. Si je devais voter pour le PDP, je les soutiendrais. Mais j’hésite à accorder ma voix à ce parti parce que j’ai peur que sa position pro-indépendance ne mène à une guerre. Je préfère le statu quo. D’une manière générale, une fois la peur de la guerre écartée, le PDP devient un parti politique acceptable.
J’ai rejoint le KMT en 1977, quand j’étais encore au lycée. L’un de nos professeurs nous a suggéré d’adhérer au parti. Je ne me souviens pas exactement de ses propos mais je suis sûr qu’il a dit quelque chose sur la façon dont le KMT nous aiderait — ou tout au moins nous éviterait des ennuis — pendant notre service militaire et même dans l’avancement de nos carrières. Il a réussi à nous convaincre. Parce que c’était le seul parti et qu’il exerçait un contrôle absolu sur le pays, il ne semblait rien y avoir de mal à devenir l’un de ses membres.
Ce que ce professeur avait dit était en partie vrai. Je ne sais pas comment c’est aujourd’hui, mais le KMT était très actif dans l’armée au début des années 80, à l’époque où j’y étais. Les officiers appartenaient à ce parti et ils essayaient de persuader tout le monde d’adhérer. Je ne suis pas allé m’inscrire auprès du bureau du KMT de Taïpei comme j'aurais dû le faire après mon service militaire. Mais le bureau du parti de l’université où je suis entré m’a retrouvé. Ils me demandaient de temps en temps de participer à des activités du KMT mais je n’y suis pas allé. J’ai quitté l’université depuis des années et je n’ai jamais pris part aux activités du parti depuis. Ils continuent quand même à m’envoyer les annonces des réunions et à me demander de voter pour certains candidats. Je pense que je suis encore considéré comme un membre inscrit, bien que sur ma carte de membre figure une photo prise à l’époque où j’étais au lycée.
Au cours des dernières années, le KMT a déçu de nombreuses personnes mais je ne pense pas qu’il soit complètement dépourvu d’espoir. Après tout, il a majoritairement contribué au développement économique de Taïwan. Cependant, je suis d’accord sur le fait que ce parti a besoin de toute urgence d’une grande réforme. Fondamentalement, il n’est pas démocratique. Il s'est doté de tous les comités qu’un parti digne de ce nom se doit de posséder, mais les prises de décision en son sein ne sont absolument pas démocratiques. C’est évident lors de l’investiture des candidats pour les différentes élections.
Ce qui ne me plaît pas beaucoup non plus, c’est la politique «noir et or». Je pense que le KMT veut changer. Lors des dernières élections, il a commencé à présenter des personnes n’ayant aucun lien avec les milieux de la pègre. La plupart de ces candidats ont échoué, mais je ne pense pas qu’ils doivent être tenus pour responsables. Bien que bon nombre d’électeurs se prononcent pour un candidat plutôt que pour un parti, il y a aussi beaucoup de gens qui refusent de voter pour le KMT, quel que soit son candidat.
A l’heure actuelle, je pense que le KMT est le seul parti suffisamment qualifié et expérimenté pour diriger le gouvernement central. S'il est vraiment déterminé à conduire des réformes, je suis optimiste sur ses chances de rester au pouvoir. Mais ma femme pense qu’il n’a pas d’avenir et quand je fais part de mon optimisme à mes amis, ils font semblant d’avoir des haut-le-cœur !
Je soutiens le Nouveau Parti parce que la plupart de ses leaders sont diplômés en administration publique ou en sciences politiques ou juridiques. Les chances qu’ils trempent dans les affaires de la pègre et de la politique de l’argent sont infimes. De plus, ce sont pour l’essentiel des citoyens ordinaires, issus de la classe moyenne. Ils sont ainsi plus à même de représenter l’opinion publique. Par ailleurs, le Nouveau Parti est une formation émergente animée d’idéaux plus nobles et d’une vitalité plus grande.
Le meilleur moyen de soutenir le parti est de voter pour lui. Je n’aime pas participer aux meetings politiques parce qu’ils deviennent souvent irrationnels. D’ailleurs, je suis toujours tenu au courant des activités du parti grâce aux médias.
Ma principale inquiétude porte sur la dislocation de l’ordre social. J’ai beau être un homme, j’ai peur quand je sors le soir ou quand je vais retirer de l’argent à la banque. J’ai peur d’être attaqué et volé.
Sur le plan politique, l’idée de l’indépendance de Taïwan a mis en danger la sécurité de l’île et provoqué l’instabilité de la société. J’espère que tous les partis politiques garderont dorénavant à l’esprit l’importance de la sécurité de la nation quand ils formuleront leurs programmes et leurs politiques. Le bien-être de la population devrait être leur première considération. Nous devrions profiter davantage de l’essor économique de la Grande Chine, sans pour autant mettre en péril notre sécurité nationale : le renforcement des échanges commerciaux et des projets de développement économique serait réciproquement bénéfiques aux deux rives du Détroit.
Je pense que notre culture est aussi en danger. L’importation de la culture japonaise à Taïwan a eu un impact défavorable sur les adolescents dont elle a bouleversé les valeurs. La jeunesse semble à la poursuite de ce qui est à la mode au Japon, sans se préoccuper de savoir si cela lui convient : elle aime les jeux vidéos électroniques et les dessins animés qui sont remplis de sexe et de violence. Notre éducation culturelle ne semble pas avoir d’objectifs spécifiques. Les jeunes ne saisissent pas l’essence de cette culture dont nous affirmons qu’elle a 5 000 ans d’histoire.
Le principal défi pour le Nouveau Parti porte sur la façon dont il va parvenir à mieux se faire connaître, afin de remporter un plus large soutien de la part du public. Je pense qu’il y a encore beaucoup de gens qui ne connaissent pas son programme et ses principaux objectifs. Si le parti parvient à augmenter de façon substantielle le nombre de ses sièges lors des prochaines élections et à former un personnel politique plus important, il sera mieux à même de se mettre au service de la population et de renforcer sa popularité. Mais le NP est handicapé dans son action et son développement par son manque de moyens financiers. Il doit effacer par ailleurs l’image erronée selon laquelle il est avant tout le parti des continentaux qui ont immigré à Taïwan à la fin des années 40.